Que ce soit pour un régime, par conviction ou à cause d’une intolérance, la suppression d’aliments de sa consommation n’est pas un choix récent. Comment faire la part entre les tendances alimentaires et nos réels besoins nutritionnels ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé des experts sur une possible solution : l’approche holistico-réductionniste.
Moins de glucides, plus de protéines, pas de « mauvais gras » … Ces dernières années, de nombreux régimes prônent la réduction, voire la suppression, de certains aliments et nutriments de notre comportement alimentaire. Des tendances parfois extrêmes qui mettent en lumière notre rapport avec notre alimentation. Aujourd’hui, une manière plus simple de manger ressurgit et promeut une consommation raisonnée de tous les aliments.
De la quantité à la qualité, adopter un régime alimentaire qui se concentre sur l’essentiel
Cerveau, microbiote, squelette… De quoi notre corps a-t-il besoin et de quoi peut-il se passer ?
En 1850 des chercheurs occidentaux découvrent le principe de « nutriment », une révolution dans le domaine de la nutrition. 170 ans plus tard, les nutriments sont encore présents dans notre vie, et heureusement ! Leur découverte a permis de mieux comprendre les besoins nutritionnels de l’organisme.
C’est ainsi que l’on a appris que la vitamine A est bénéfique pour la vision, que le fer permet l’oxygénation des cellules (un indispensable notamment pendant la grossesse ) ou encore que le zinc joue un rôle essentiel pour notre système immunitaire, pour ne citer que quelques exemples.
Comment prendre en compte ces informations dans l’alimentation des Français ? Pour y voir plus clair, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail (Anses) a mis au point en 1981 les « Apports Nutritionnels Conseillés ». Ces repères permettent de savoir la quantité de nutriments dont nous avons besoin. Ces recommandations varient selon le sexe, l’âge, la corpulence et l’activité physique quotidienne. Les respecter permet d’éviter les carences et des maladies.
« Une alimentation équilibrée, c’est avoir les quatre composantes dans l’assiette : des protéines, des glucides, des lipides et des fibres », explique la diététicienne Nadia Chapelle. Pourquoi ? Parce que ces nutriments fournissent l’énergie et assurent le bon fonctionnement de l’organisme. Il en existe sept : les glucides, les protéines, les lipides et les fibres (les macronutriments) et les vitamines, les minéraux et les oligo-éléments (les micronutriments).
Le corps n’est pas capable de fabriquer par lui-même tous ces nutriments, c’est pourquoi il est impératif de les apporter par l’alimentation. Par exemple, le squelette a besoin de calcium et de phosphore tandis que le cerveau nécessite un apport en glucides.
Quant au microbiote (c’est-à-dire la flore intestinale) « plus on mange de fibre, plus cela renforce l’équilibre de notre microbiote », indique Nadia Chapelle. Quid des calories ? On estime que le corps a besoin entre 25 et 35 kcal/kg/j soit entre 1 800 kcal pour une femme et 2 100 kcal pour un homme en moyenne.
Protéines, lipides, glucides… Où les trouver ? Quelles sont les quantités requises ?
- Les glucides : les principales sources sont les féculents (les céréales, les légumineuses, les pommes de terre…), les légumes verts, les fruits frais et séchés… « On estime les glucides entre 40 et 60%, selon la personne, de l’AET (apport énergétique total), dont 5% en sucres rapides », indique Nadia Chapelle. La part recommandée de glucides dans l’apport énergétique est de 50 à 55 % (fibres comprises).
- Les lipides : on les trouve dans les produits animaux (poissons, les œufs, les fromages, la viande, les crèmes, le beurre…) et les produits végétaux (les huiles, les oléagineux…). Les lipides contiennent notamment les oméga 3 et les oméga 6, des acides gras indispensables au bon fonctionnement de l’organisme. La part recommandée de lipides dans l’apport énergétique est de 35 à 40%.[1]
- Les protéines : elles sont présentes dans la viande, le poisson, le lait, l’œuf ainsi que graines oléagineuses (cacahuètes, amandes, pistaches, etc.), les légumineuses et leurs dérivés (tofu, pois chiche, haricots…) ou encore les céréales. L’ANSES recommande 0,83 g/kg/jour soit 10 à 27 % de l’apport énergétique.[2]
En plus de ces trois macronutriments, le corps a besoin de fibres (25 grammes par jour au minimum). Elles régulent la fonction gastro-intestinale, diminuent le taux de cholestérol et gèrent la glycémie. C’est en mangeant des légumes et des fruits ainsi que des produits céréaliers que l’on obtient notre apport en fibres. Aujourd’hui, 89,7 % des adultes de 18 à 54 ans n’atteignent pas les recommandations fixées. [3]
Quant aux vitamines (A, B1, B2, B3, B5, B6, B8, B9, B12, C, D, E, K), une alimentation diversifiée permet de couvrir les besoins de l’organisme.
Enfin, les minéraux et les oligoéléments, sont tout aussi essentiels. Les plus connus sont le calcium, le magnésium, le fer, le zinc … Les sels minéraux sont principalement apportés par le lait, le fromage, les légumes… tandis que l’apport en oligoéléments viendra par une alimentation variée.[4]
Peut-on se passer d’un aliment ? Ces vingt dernières années, de nombreux régimes prônent la réduction, voire la suppression, d’aliments et de nutriments. C’est notamment le cas du célèbre régime cétogène, le Keto Diet, qui vise à réduire l’apport en glucides pour le remplacer par des lipides.
« C’est du grand n’importe quoi », s’alarme Nadia Chapelle, « ce sont des régimes réservés à des personnes qui ont des pathologies bien précises », ajoute-t-elle. Selon elle, seul le sucre rapide et le sucre libre n’est pas indispensable.
« Quand on mange des sucres rapides, notre cerveau va sécréter des endorphines, il adore ça, il devient accro »
Mais l’excès de « sucres plaisirs » est ensuite stocké sous forme de graisse et mène à la prise de poids. Baisse d’énergie, de moral, hypertension, risque de diabète… Les sucres rapides sont une grande source de problèmes de santé. Mieux vaut privilégier les sucres peu transformés métabolisés plus lentement comme le riz basmati, les céréales non raffinées, le miel, les légumineuses…
De même, pendant longtemps le « mauvais gras » a été pointé du doigt, notamment les acides gras saturés (AGS). Aujourd’hui, nous savons que tout est une question de quantité et d’équilibre alimentaire. Inutile de supprimer les fromages, viandes et autres apports d’AGS.
Enfin, le sel, lui, est à réduire. L’Organisation mondiale de la santé recommande de se limiter à 5 g de sel maximum par jour. Une dose que 90% des adultes dépassent quotidiennement.[5]
Lier réductionnisme et holisme pour privilégier des aliments de qualité et trouver un équilibre
Si cette alimentation par nutriments (appelée approche réductionniste ou analytique) a été au cœur des recherches pendant des décennies, ces dernières années une autre approche émerge : l’holisme. Celle-ci se base sur une théorie : le tout est supérieur à la somme des parties, soit 1 + 1 est supérieur à 2.
Concrètement, l’approche analytique s’intéresse aux nutriments et estime qu’ils ont le même effet s’ils sont isolés ou groupés alors que la nutrition holistique s’intéresse aux aliments dans leur entièreté (la matrice alimentaire). L’approche holistique s’intéresse aux relations entre les nutriments ainsi qu’à leurs effets sur notre santé, notre environnement, la biodiversité…
« L’approche holistique va regarder les régimes alimentaires dans leur grande dimension tandis que l’approche analytique va descendre au niveau de chaque nutriment »
Pourquoi c’est révolutionnaire ? Parce que l’on se rend compte aujourd’hui que ce ne sont pas les nutriments qui importent en premier lieu, mais leur interaction. Dans ses travaux, Anthony Fardet, docteur et chercheur en nutrition donne un exemple précis : « l’approche réductionniste consiste à retirer les perles du collier pour les étudier séparément (elles et leurs effets supposés). Toutefois dans cette approche, on néglige le rôle du fil (le lien donc) qui est essentiel au collier”.
Dit autrement, ce sont d’abord les interactions entre les nutriments (le fil) qui participent du potentiel santé de l’aliment, pas les nutriments pris isolément (les perles). “Or le collier structuré est bien plus que la somme des perles et du fil pris isolément », conclut le chercheur.[6]
Cette séparation entre les nutriments et leur lien a donné lieu à une dérive que l’on observe directement dans nos assiettes : les aliments ultra-transformés (AUT). Ce sont par exemple le surimi, les steaks végétaux, les sodas, les boissons végétales… Ils relèvent plus de la chimie que de la cuisine car beaucoup ne sont plus que des recombinaisons de marqueurs d’ultra-transformation et donc des matrices artificialisées qui n’existent pas dans la nature.
Cette reconstitution artificielle d’aliments permet de corriger un goût acide, d’exacerber une couleur, d’améliorer une texture, mais ne nourrit pas correctement. Au contraire, leurs effets néfastes sont régulièrement pointés du doigt. Peu rassasiants, hyperglycémiants, riches en calories… La consommation régulière de ces produits entraîne un risque accru de maladies chroniques (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, cancers…) et d’obésité.[7] « L’explosion des maladies chroniques est concomitante avec l’arrivée massive de ces aliments », explique Anthony Fardet.[8]
Faut-il bannir le réductionnisme alors ? « Les deux approches ont un intérêt, ce qu’il ne faut pas, c’est ne se baser que sur une des approches et ignorer l’autre », explique le professeur François Mariotti. En fait, l’approche réductionniste et l’approche holistique doivent être combinées. L’approche réductionniste a permis de comprendre de nombreux mécanismes, de découvrir les vitamines et de créer les compléments alimentaires permettant de lutter contre les déficiences nutritionnelles par exemple.
L’approche holistique, elle, a permis de ne plus voir un aliment comme la simple somme de nutriments, mais de s’intéresser plutôt à leurs relations et leurs effets. Anthony Fardet prend l’exemple de l’amande et de la poudre d’amande[10] : elles ont la même composition, l’une est dure, l’autre est en poudre, pourtant leurs effets sur l’organisme ne sont pas les mêmes. En changeant leurs structures, on change leurs effets, et cela, on le sait grâce à l’approche holistique.
En fait, ce qu’il faut éviter, c’est la dérive du réductionnisme : l’ultra-réductionnisme, souligne Anthony Fardet. Cet extrême a mené vers la création de nouveaux aliments trop transformés dont les nutriments n’ont presque plus d’effets positifs sur la santé. Ce que le chercheur pointe du doigt, c’est que les aliments ultra-transformés sont la base de notre alimentation alors qu’ils devraient être utilisés seulement occasionnellement. La solution est simple : privilégier les aliments les moins transformés possibles.
Au quotidien, intégrer l’holistico-réductionnisme dans sa routine alimentaire
Plus besoin de faire des choix extrêmes pour aller vers une alimentation plus raisonnable
Si aujourd’hui beaucoup ressentent la nécessité de compter les nutriments et les calories de leurs repas, pour le professeur François Mariotti, cette habitude n’est pas nécessaire. « C’est le travail des scientifiques d’établir des régimes à partir de ces nutriments, pas aux consommateurs », estime-t-il. Selon lui, pour percevoir tous les apports nutritionnels, mieux vaut suivre les recommandations de l’ANSES. « Je comprends que les consommateurs veulent comprendre leur alimentation, mais c’est un travail très compliqué, colossal, on a mis des années à faire ça », explique-t-il.
Que consommer alors ?
« Un bon régime, c’est un régime qui n’apporte pas plus de 500 g de viande rouge e par semaine, 150 g de charcuterie par semaine, 5 portions de fruits et légumes par jour, 2 portions de légumineuses par semaine, des produits céréaliers complets au maximum et pas trop de produits céréaliers raffinés, 2 produits laitiers, 1 portion de fruits à coque par jour et du poisson »
Il est recommandé de manger une fois par semaine du poisson frais et une fois par semaine du poisson gras comme de la sardine, du maquereau, du hareng, du saumon… Quant à la viande, « je dirais qu’il vaut mieux manger moins de viande, mais en manger de bonne qualité, être sûr que l’animal a été bien nourri, pas engraissé », indique Nadia Chapelle.
Mais attention, « les petits plaisirs ne sont pas interdits. Ce n’est pas parce que l’on fait attention à son alimentation que l’on se prive », explique la diététicienne. On peut par exemple boire du thé, du café et des infusions non sucrées si l’on a du mal à atteindre les 2 litres d’eau recommandés par jour. Il est aussi possible de consommer de la charcuterie tant que celle-ci est limitée à 150 g par semaine (soit environ 3 tranches de jambon blanc).
Envie de chips ou de bonbons ? « Oui, mais en petite quantité et occasionnellement », conseille Nadia Chapelle. Il est aussi possible de substituer les boissons sucrées et édulcorées (les sodas par exemple) par des fruits pressés. Quant aux verres d’alcool, mieux vaut en boire de temps à autre, ne pas dépasser deux verres par occasion et avoir au moins 2 jours sans consommation dans la semaine. Il est donc tout à fait possible de se faire plaisir, tant que cela est fait sans excès.[]10
Il existe quelques astuces pour manger varié et équilibré sans se frustrer. Nadia Chapelle conseille par exemple de privilégier le fait maison en utilisant des produits frais, de saison et achetés en circuit court, « au marché par exemple », indique la diététicienne. « On me demande aussi souvent si les aliments congelés sont bons », explique Nadia Chapelle, « oui, si la congélation a été faite alors que le légume ou le fruit vient d’être cueilli, il conserve une grosse partie de ses vitamines », ajoute-t-elle.
Derniers conseils : ne pas faire ses courses en ayant faim, manger dans des petites assiettes, poser ses couverts toutes les trois bouchées, compter vingt minutes de repas, et prendre le temps de mâcher. « En fait, aujourd’hui, on revient à une alimentation plus simple, similaire à celles de nos grands-parents », remarque Nadia Chapelle.
Bien choisir ses aliments : on ne doit pas forcément renoncer à faire ses courses au supermarché pour trouver des aliments de bonne qualité.
Si la théorie est acquise par une majorité de consommateurs, dans les faits, une grande partie d’entre nous mange régulièrement des aliments ultra-transformés. Une idée commune veut qu’une bonne alimentation passe par plus de coûts, pourtant il est possible de bien manger en faisant ses courses dans les supermarchés.
En fait, faire de bons achats au supermarché est possible à condition de savoir bien choisir ses aliments. Dans une interview de Franceinfo, Anthony Fardet propose une astuce pour reconnaître les aliments ultra-transformés : vérifier la liste des ingrédients sur les emballages.
Une autre option consiste à s’aider d’applications mobiles nutritionnelles. Il est aussi possible de se tourner vers l’application
En fait, malgré une idée commune, la meilleure alimentation réside dans une consommation simple et logique. Il est inutile de supprimer des aliments, voire des catégories d’aliments, de notre régime alimentaire, il suffit de manger de façon raisonnable et raisonnée à la manière du flexitarisme. Cette pratique semble être une synthèse équilibrée des approches réductionniste et holistique.
Sources :
[1] ANSES – Les lipides
[2] ANSES – Les protéines
[3] L’essentiel des recommandations sur l’alimentation – Mangerbouger.fr et Santé Publique France
[4] ANSES – Les références nutritionnelles en vitamines et minéraux
[5] L’essentiel des recommandations sur l’alimentation – Mangerbouger.fr et Santé Publique France
[6] Naturolistique – Alimentation holistique vs. approche réductionniste alimentaire de la science
[7] Alimentation : protégez votre santé (et la planète) grâce à la règle des « 3V »
[8] France-Info : Aliments ultra-transformés : pourquoi faut-il s’en méfier ?
[9] The Conversation – Pour manger sain, faire attention à la composition des aliments ne suffit pas
[10]L’essentiel des recommandations sur l’alimentation – Mangerbouger.fr et Santé Publique France