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NOS TABLES RONDES

Consommateur et alimentation : une relation paradoxale ?

La 4e Ă©dition des rencontres MeatLab Charal a dĂ©cryptĂ© les comportements alimentaires des Français, qui sont souvent observĂ©s, analysĂ©s, et parfois schĂ©matisĂ©s en un seul modĂšle alimentaire. NĂ©anmoins, nous sommes forcĂ©s de constater que les habitudes alimentaires sont souvent paradoxales et/ou contradictoires. DerniĂšrement, la crise du Covid-19 et le confinement a soulevĂ© des questions. L’alimentation a trouvĂ© diffĂ©rentes places dans ce quotidien inhabituel des Français. Entre nĂ©cessitĂ© et plaisir, les paradoxes se sont multipliĂ©s.

Ce qu’il faut retenir :

  • Effectivement, nous sommes des ĂȘtres paradoxaux. Les Ă©carts sont frĂ©quents entre d’une part les connaissances, convictions et intentions des mangeurs, et d’autre part leurs comportements rĂ©els : Â« Savoir, et mĂȘme vouloir, n’est pas toujours synonyme de faire. Â»
  • Cela s’explique par de nombreux facteurs: un consommateur pluriel aux multiples visages, un excĂšs d’informations et des injonctions contradictoires, une moralisation de l’alimentation, mais aussi un contexte qui joue pour beaucoup.
  • DerniĂšrement, le confinement a mis en lumiĂšre les nombreux paradoxes. Certaines tendances devraient se renforcer : local, circuit court, bio, produits Ă©quitables
 Mais le monde d’aprĂšs ne sera pas si diffĂ©rent de celui d’avant.

Comportement alimentaire : le consommateur a t-il de multiples visages ?

L’étude menĂ©e par l’Institut IRI pour le MeatLab Charal vise Ă  dĂ©crypter les comportements alimentaires des Français, avec un Ă©clairage au regard de la crise sanitaire (voir l’étude complĂšte).

Il en ressort de nombreux paradoxes, illustrĂ©s en 5 items :

Bien consommer et faire des économies: un équation impossible à résoudre?

D’un cĂŽtĂ©, nous avons l’injonction du « mieux consommer Â», et de l’autre une nĂ©cessitĂ© de faire des Ă©conomies. Au lendemain de la crise, on observe une envolĂ©e de la prĂ©occupation prix (la maĂźtrise des dĂ©penses est une prioritĂ© pour 40 % des Français, versus 22 % avant la crise). La sensibilitĂ© prix est tout autant liĂ©e Ă  des raisons Ă©conomiques qu’à la volontĂ© de changer sa philosophie de vie.

Manger sainement et/ou se faire plaisir: quels arbitrages ?

Pour les consommateurs, la qualitĂ©, c’est tout autant la naturalitĂ©, le brut, l’authentique que le plaisir, la tentation, la sĂ©duction et la gourmandise ! Un double visage qui peut s’avĂ©rer contradictoire. L’exemple le plus flagrant est sans doute le top 5 des innovations alimentaires en 2019 et en 2020 oĂč la gourmandise et le plaisir sont Ă  l’honneur (biscuits, glaces, pĂątes Ă  tartiner
) alors que la santĂ© et le mieux manger d’un point de vue nutritionnel sont des prĂ©occupations de plus en plus fortes.

En réalité, pour satisfaire à ces 2 attentes, le consommateur arbitre entre santé et plaisir selon les moments de
consommation, parfois dans une mĂȘme journĂ©e.

Par ailleurs, malgrĂ© la forte prĂ©occupation pour la composition des produits, plus de 1/4 des utilisateurs d’applications mobiles de type Yuka les ont abandonnĂ©es.

Développement du flexitarisme et place encore centrale des protéines animales

D’un cĂŽtĂ©, on a un mouvement vers le flexitarisme (dĂ©but 2020, 38 % des Français se disent flexitariens) et en parallĂšle une trĂšs forte envolĂ©e des ventes de protĂ©ines animales, qui restent centrales dans le repas.

De plus, dans un contexte de rĂ©duction du temps de courses en magasin, les catĂ©gories viandes et poissons font partie du top 3 des produits indispensables pour les Français (citĂ©es comme indispensables par 36 % des Français et importantes pour 51 %).

La cuisine : une tendance accĂ©lĂ©rĂ©e par la crise mais qui sera limitĂ©e par des freins intrinsĂšques

42 % des Français dĂ©clarent faire plus la cuisine qu’avant la crise avec 19 % qui indiquent pour les mois Ă  venir qu’ils cuisineront plus.

D’un autre cĂŽtĂ©, un nombre tout aussi important d’entre eux le feront moins (16 %) par manque de temps (61 %) et par manque d’idĂ©es (17 %).

Les Français & les hypermarchés, une relation ambivalente ?

On observe un nombre de circuits frĂ©quentĂ©s en progression : en 5 ans, on est passĂ© de 6 Ă  7 pour acheter des produits de grande consommation. C’est encore plus vrai aujourd’hui : 25 % des Français frĂ©quentent des circuits qu’ils ne frĂ©quentaient pas avant la crise au profit des « spĂ©cialistes physiques de la qualitĂ© Â» qui s’inscrivent dans un mouvement de fond (rĂ©assurance, qualitĂ©, etc.).

NĂ©anmoins, en 2020, aprĂšs le confinement, lorsqu’ils vont faire leurs courses alimentaires, le lieu principal d’achat oĂč se rendent les Français reste l’hyper/supermarchĂ© (70 %). L’hyper est le 1er circuit frĂ©quentĂ© pour le choix et les promotions.

Alimentation & Santé : quels comportements paradoxaux ?

Lorsqu’il s’agit de bien manger, les Français se comportent de façon paradoxale avec d’un cĂŽtĂ© une montĂ©e en expertise des consommateurs et en parallĂšle l’essor des rĂ©gimes alimentaires dits « healthy Â» et leurs dĂ©rives, comme l’orthorexie.

« Notre sociĂ©tĂ© d’abondance nous rend les aliments immĂ©diatement disponibles et pourtant on se restreint, on mange “sans”. On en oublie le plaisir alimentaire. Nous sommes en plein paradoxe. On prĂŽne une alimentation saine et durable et on observe pourtant un recours au snacking avec, souvenez-vous Ă  la fin du confinement, une ruĂ©e vers le fast-food. » explique le Dr Cocaul, mĂ©decin nutritionniste.

Le consommateur est complexe, certes, mais l’environnement autour de lui l’est tout autant, avec ses injonctions contradictoires qui crĂ©ent de la cacophonie et diluent la parole des experts. Les recommandations officielles sont elles aussi un peu Ă©loignĂ©es de la rĂ©alitĂ©.

Ce contexte peut gĂ©nĂ©rer des comportements excessifs, comme l’amĂ©ricanisation des rĂ©gimes. On se prĂ©occupe parfois abusivement de l’aliment en crĂ©ant une dichotomie bon ou mauvais pour la santé« Aucun aliment n’est mauvais en soi. Tout aliment peut ĂȘtre essentiel Ă  un moment donnĂ© (mĂȘme le pire). Â»

Il faut rĂ©apprendre Ă  ĂȘtre un mangeur dotĂ© d’un cerveau.

L’alimentation a un aspect symbolique : Â« Manger, c’est le courage d’ĂȘtre soi. Â» Nous restons attachĂ©s au manger ensemble, mĂȘme si les alimentations particuliĂšres se dĂ©veloppent. Â« C’est la schizophrĂ©nie du mangeur moderne, tiraillĂ© entre les fondamentaux de la mĂ©decine, son souhait d’ĂȘtre plus vertueux et plus respectueux de la nature, et son dĂ©sir de se dĂ©marquer de la masse des mangeurs anonymes. Â»

En conclusion, pour s’en sortir, deux leviers peuvent ĂȘtre exploitĂ©s selon le Dr Cocaul : Â« L’éducation et le retour aux fondamentaux (simplicitĂ© et convivialitĂ©-partage). L’alimentation n’est pas que de la science et de la mĂ©decine, c’est aussi beaucoup de plaisir et d’émotionnel. Â»

Anthropologie : le rapport culturel et Ă©motionnel des Français vis-Ă -vis de l’alimentation ?

Selon Fanny Parise, anthropologue et docteure en socioanthropologie, Â« l’alimentation est culturelle, c’est un miroir de la sociĂ©tĂ© Â». Les besoins physiologique, social et symbolique sont intrinsĂšquement liĂ©s. De ce fait, il n’existe pas de culture qui ne forge pas de rĂšgles et ne fixe pas de cadre normatif Ă  l’alimentation.

Comme nous l’explique C. LĂ©vi-Strauss, Â« il ne suffit pas qu’un aliment soit bon Ă  manger, encore faut-il qu’il soit bon Ă  penser Â». Cette dimension sociale du mangeur impacte le systĂšme productif et marchand de toute sociĂ©tĂ©.

Au regard des Ă©tudes anthropologiques, plusieurs Ă©lĂ©ments permettent de comprendre le comportement paradoxal du mangeur :

  • Moralisation de l’alimentation : le comportement du mangeur est sanctionnĂ© par des jugements liĂ©s aux normes sociales, culturelles et religieuses.

« Consommer, c’est choisir un produit, un bien, un mode de production, un modĂšle Ă©conomique. Â» Prenons l’exemple du flexitarisme, avec des individus qui se dĂ©clarent vĂ©gĂ©tariens et qui, en pratique, ont des protĂ©ines animales Ă  leur domicile.

C’est la notion de menteur de bonne foi : il existe un Ă©cart entre ce que les gens pensent faire, font rĂ©ellement et aimeraient faire.

  • Ruptures des cycles de vie : chaque changement d’état dans la vie d’un individu marque une rupture entre sa vie d’avant et celle de maintenant. Ces rites de passage sont le support de changements de pratiques et d’habitudes de consommation.
  • Le contexte joue pour beaucoup : il permet de mettre le doigt sur certaines contradictions et certains signaux faibles. On retrouve notamment les produits rĂ©tro-innovants vers lesquels se sont tournĂ©s les Français pendant le confinement, comme les boĂźtes de conserve et les surgelĂ©s, qui ont Ă©tĂ© remis sur la table (accessibilitĂ©, stockage, prix, image nostalgique) !

Sociologie : un consommateur devenu schizophrĂšne ?

A priori, tout semble l’indiquer, selon Éric Birlouez, IngĂ©nieur agronome, sociologue de l’agriculture et de l’alimentation.

Les Ă©carts sont en effet frĂ©quents entre d’une part les connaissances, convictions et intentions des mangeurs, et d’autre part leurs comportements rĂ©els. Illustration avec le message « manger au moins 5 fruits et lĂ©gumes par jour Â». La grande majoritĂ© des Français en sont intimement convaincus (9 sur 10), pourtant, seuls 25 % des adultes et 6 % des enfants et adolescents appliquaient cette recommandation en 2016 (Credoc).

Par ailleurs, on peut observer chez un mĂȘme mangeur l’existence de contradictions entre ses diffĂ©rentes attentes ou dĂ©sirs alimentaires. Aux « 5 S Â» hĂ©ritĂ©s des 30 Glorieuses (SatiĂ©tĂ©, SĂ©curitĂ© sanitaire, Saveur, Service, SantĂ©) s’ajoutent de nouvelles attentes plus rĂ©centes : naturalitĂ©, local, Ă©thique
 sans oublier la montĂ©e en puissance du « besoin de savoir Â». Ces nouvelles exigences n’ont pas pour autant fait disparaĂźtre les attentes « historiques Â», et notamment la notion de plaisir alimentaire. La multiplicitĂ© des attentes actuelles gĂ©nĂšre lĂ  encore des contradictions internes : Â« Le consommateur est devenu pluriel Â», prĂ©cise Éric Birlouez.

Le caractĂšre en apparence contradictoire des attentes et des comportements s’explique aussi par un Ă©clatement du « modĂšle alimentaire français Â» et du repas standard.

Notre approche de l’alimentation est faite de paradoxes et de contradictions. En effet, nous ne sommes pas des mangeurs libres mais influencĂ©s par un contexte et des croyances. Pendant la crise, une prise de conscience est apparue dans les discours, avec une volontĂ© de moins consommer et de prendre de la distance par rapport Ă  la sociĂ©tĂ© de consommation. DĂšs le dĂ©confinement, on a observĂ© un besoin de dĂ©foulement avec une volontĂ© de reprendre sa vie d’avant.

Pour apprĂ©hender le monde qui nous entoure, la tentation est forte de regrouper les consommateurs dans des cases. Or chaque mangeur est unique, et a lui-mĂȘme un comportement pluriel. Cette pluralitĂ© est l’essence mĂȘme de notre libertĂ© et reprĂ©sente la richesse de notre modĂšle alimentaire.

Le consommateur et son assiette : une relation paradoxale ?

4Ăšme Ă©dition Meatlab Charal

4Ăšme Ă©dition Meatlab Charal - Le consommateur et son assiette : une relation paradoxale ?

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