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TENDANCES ALIMENTAIRES

Tout ce qu'il faut savoir sur l’alimentation intuitive

L’alimentation intuitive se positionne comme une méthode antirégimes. L’approche fait appel à notre capacité individuelle de réguler notre rapport à l’assiette. En quoi cela consiste-t-il ? Comment en appliquer les grands principes et quels en sont les bienfaits ? Les réponses d’une neuroscientifique.

Spécialiste de l’alimentation intuitive et passionnée par la psychologie du comportement alimentaire, Alicia Sicardi a exercé pendant cinq ans en tant que diététicienne nutritionniste. Cet exercice a donné lieu à l’écriture d’un livre, L’alimentation intuitive, le grand livre, publié aux éditions Leduc en 2021. Elle poursuit actuellement des travaux de recherche fondamentale et clinique en neurosciences du comportement alimentaire au laboratoire de recherches Inserm “Lille Neuroscience et Cognition” au sein de l’équipe “Développement et plasticité du cerveau neuroendocrine”. Entretien.

Origines et définition de l’alimentation intuitive

Meatlab. Expliquez-nous à quoi correspond l’alimentation intuitive.

Alicia Sicardi. C’est une approche alimentaire holistique qui propose de se concentrer sur les aspects psychologique et physiologique de l’acte consistant à manger ainsi que sur notre relation à la nourriture pour déterminer quand, quoi et combien nous allons manger. L’alimentation intuitive fait appel aux capacités innées des personnes à réguler leur consommation alimentaire sans faire intervenir de régimes ni de règles extérieures (par exemple, manger à 8 h, 12 h et 19 h pile).

L’objectif est de retrouver des comportements alimentaires fonctionnels, une estime de soi positive et un rapport sain tant à l’alimentation qu’à notre image corporelle. C’est ce qu’ont mis en place deux diététiciennes américaines, Evelyn Tribole et Elyse Resch, en 1995. À l’époque, elles avaient constaté que les méthodes conventionnelles des régimes pour perdre du poids ne fonctionnaient pas sur le long terme et qu’elles provoquaient même une reprise de poids plus importante que la perte initiale.

Pourquoi ? Parce qu’un régime nous oblige à classer les aliments comme « bons » ou « mauvais », ce qui donne un côté obsessionnel à l’alimentation, et parce qu’il ne résout ni les problèmes d’image corporelle ni la relation à l’assiette des individus.

44 % des Françaises disent avoir souffert de déséquilibres alimentaires dans leur vie, dont 53 % pendant plus d’un an. Pour 45 % d’entre elles, ces troubles prenaient la forme de périodes « yo-yo », alternant entre régimes et excès alimentaires.

Selon un sondage IPSOS pour Qare publié en juin 2022 (1)

Les grands principes de l’alimentation intuitive

À contre-pied de ces régimes, l’alimentation intuitive invite à renouer avec les sensations physiques pour guider nos choix alimentaires. En quoi est-ce nécessaire ? 

Beaucoup d’entre nous mangent en activant un pilote automatique et en fonction des règles dictées par la société. L’exemple typique, ce sont les personnes qui effectuent un jeûne intermittent et ne petit-déjeunent pas le matin parce qu’on leur a dit que c’était bien, alors même qu’elles sont affamées.

Or bien qu’il puisse avoir des vertus, le jeûne intermittent ne correspond pas à chacun. De nombreux facteurs personnels, tels que l’activité physique, le rapport au corps, ou encore la religion, déterminent nos comportements alimentaires.

Notre corps sait ce dont on a besoin pour fonctionner et nous pousse vers les aliments nécessaires. Mais encore faut-il l’écouter. C’est pourquoi l’alimentation intuitive invite à honorer nos signes physiques individuels de faim et de satiété afin de revenir à cette simple déduction : si j’ai faim, j’ai toutes les raisons de manger, si je n’ai pas faim, je n’en ai aucune.

L’alimentation intuitive incite également à faire la paix avec le contenu de nos assiettes. C’est-à-dire ?

Cela signifie comprendre qu’un aliment n’est ni bon ni mauvais, qu’il est neutre. Il contient des molécules qui, tant qu’elles sont consommées de manière variée et à une fréquence cohérente, ne sont pas nocives pour la santé. L’alimentation intuitive propose de dédiaboliser les produits, d’apporter de la nuance à notre conception de la nourriture et de rationaliser nos croyances en nous fiant à notre ressenti physique.

Au moment où notre corps dit qu’il a faim, on a tendance à laisser les règles psychiques prendre le pas sur les sensations du corps. Or, si on n’a plus envie de finir notre plat, mais qu’on souhaite manger un yaourt, notre corps vise probablement les qualités nutritionnelles de ce dessert.

Il n’y a alors aucune raison de se l’interdire. D’ailleurs, l’un des principes les plus importants de l’alimentation intuitive est de s’accorder la permission inconditionnelle de manger. Quelles que soient la nourriture désirée et l’heure sur la pendule, et ce sans culpabilité.

N’oublions-nous pas les règles de nutrition saine si nous écoutons toutes nos envies ?

Absolument pas. L’alimentation intuitive ne dit pas qu’on peut manger ce qu’on veut quand on veut et qu’il n’y aura pas d’incidence sur la santé si on consomme des donuts matin midi et soir. Au contraire, ce mode alimentaire invite à honorer notre santé et à respecter notre corps en adoptant une nutrition douce et bienveillante envers nous-même et qui s’aligne avec nos goûts.

Prendre des décisions alimentaires en fonction de soi ne veut pas dire ignorer les règles de nutrition saine, cela signifie choisir ce qui nous correspond parmi ces consignes et garder un esprit critique. On se rédige nos propres règles, qui doivent être flexiblesadaptables et évolutives car notre corps évolue.

Lorsqu’on accepte cette responsabilité, on se rend vite compte que les aliments que l’on s’interdisait de manger et pour lesquels on avait développé un attrait, voire une obsession, ne nous intéressent finalement pas tellement une fois qu’on se les autorise. Quand on a retrouvé de la clarté dans notre acte alimentaire, on sait naturellement composer notre assiette de manière équilibrée.

L’alimentation intuitive propose également de nous questionner sur nos émotions. Pourquoi ?

Parce qu’une grande partie des gens ont une alimentation dictée par leurs émotions. Un conflit, une journée difficile, de l’ennui ou du stress… Nombreux sont ceux qui compensent ces états d’âme grâce à l’alimentation. Pas étonnant, puisque dès l’enfance on place l’aliment comme réconfort émotionnel. Si on n’a pas appris d’autres techniques de gestion des émotions, on aura toujours recours à l’alimentation pour gérer les problèmes du quotidien à l’âge adulte.

L’alimentation intuitive propose d’être à l’écoute de ce mécanisme pour pouvoir identifier et nommer les émotions, et pouvoir se rendre compte des comportements alimentaires qui leur sont liés.


Comment appliquer tous ces principes ?

L’apprentissage de l’alimentation intuitive est un véritable travail sur soi, il prend du temps et nécessite de la pratique. Certains devront se concentrer sur certains principes plus que sur d’autres. On peut toutefois commencer par renouer avec nos sensations de faim et de satiété.

On peut se poser la question « ai-je faim ? » plusieurs fois par jour, et écouter nos signaux corporels : des sens exacerbés, un ventre qui gargouille, un creux dans l’estomac, la bouche qui salive ou qui s’assèche, un coup de fatigue, un nœud dans la gorge… Tous ces signes indiquent que l’on a faimMais il est aussi important de percevoir la satiété, c’est-à-dire à quel moment on n’a plus faim lorsque l’on mange, et s’arrêter à ce moment-là.

Le rassasiement est quant à lui présent quand ce qu’il y a dans l’assiette ne nous donne plus envie. Et si après un repas notre ventre est trop tendu, si notre estomac gonfle, ou si l’on a envie de déboutonner notre pantalon, on doit prendre conscience qu’on a trop mangé.

Par la suite, on peut se reconnecter à nos goûts et différencier ce qu’on aime vraiment de ce qu’on se force à manger pour répondre à la société. Enfin, on peut tenter de savoir si l’on mange par faim ou par envie, si le plaisir est dicté par nos sens ou par nos émotions.

Et la viande dans tout ça ?

Quelle place pour la viande dans l’alimentation intuitive ?

Cette approche vise, entre autres, à nous permettre de (re)trouver une relation positive aux aliments, et de ce fait d’apprendre à éviter de les classer de manière manichéenne en « bons » ou « mauvais ». Cela s’applique à tous les groupes d’aliments, y compris à la viande.

Un des principes de l’alimentation intuitive est d’adopter une nutrition douce pour notre santé en respectant nos goûts, notre plaisir gustatif, nos besoins physiologiques. Or, la viande fait partie intégrante de ces aspects, d’où l’importance de respecter le plaisir gustatif pour les personnes qui aiment la viande, en privilégiant des pièces de qualité.

Par ailleurs, l’alimentation intuitive nous invite à écouter nos appétits spécifiques et en fonction de notre état physiologique notamment, il peut y avoir des périodes ou l’envie de viande manifeste un besoin physiologique de protéines ou des micronutriments contenus dans la viande. 

On le voit par exemple chez les personnes menstruées au moment des règles, chez les sportifs ou les jeunes en croissance, où l’envie de viande peut se faire plus grande. Si cette envie est là, ce n’est pas anodin. L’approche invite à respecter nos envies alimentaires et à nous fier à nos sensations physiques pour en choisir les quantités et la fréquence de consommation.

Pour les personnes qui aiment la viande et souhaitent en consommer à tous les repas, là aussi, l’alimentation intuitive n’y voit pas forcément d’inconvénients. Si c’est une consommation quotidienne, il est néanmoins conseillé de varier le type de viande et de se fier au corps pour déterminer la quantité et associer la viande à des aliments d’autres catégories (que l’on apprécie) en vue de respecter le principe « nutrition bienveillante », c’est-à-dire une alimentation variée et diversifiée qui se fie à nos goûts.

L’alimentation intuitive : pour qui ?

Ce mode d’alimentation est-il accessible à tous ?

L’alimentation intuitive peut être bénéfique à tout le monde, je le crois. C’est un processus qui permet de se questionner sur son rapport à la nourriture, sans faire appel à toute sorte de régimes. Mais elle ne s’impose à personne et elle doit être un choix. Pour ceux qui n’ont pas de rapport malsain à l’alimentation, cette introspection peut se faire en étant seuls.

Il est toutefois conseillé aux personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire ou ayant un mauvais relationnel à leur corps de se faire accompagner par un diététicien-nutritionniste, voire par un psychothérapeute. Quelques séances peuvent être nécessaires pour retrouver une nutrition bienveillante sans perdre le contrôle sur ce que l’on consomme et se mettre en danger sur le plan de la santé.

Un adulte français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité.

Selon une étude de l’INSERM et du CHU de Montpellier publiée dans la revue Journal of Clinical Medicine le 25 janvier 2023 (2)

Les bienfaits de l’alimentation intuitive

Pourra-t-on observer des changements corporels si l’on adopte une alimentation intuitive ? 

Bien sûr. D’ailleurs les bienfaits découlent des principes évoqués plus haut. Lorsqu’on les adopte, on effectue un travail sur soi, et on développe donc une sérénité vis-à-vis de notre corps et de l’assiette.

Les premiers changements sont donc psychologiques puisqu’on retrouve du plaisir à manger et qu’on est plus attentif à soi. Notre alimentation devient plus instinctive et accordée à soi-même et non plus aux règles extérieures.

Pour ce qui est d’un éventuel changement de poids, ce mode alimentaire ne fait pas forcément maigrir – ce n’est pas son but – et ne fait pas nécessairement grossir non plus. Néanmoins, on va se stabiliser au niveau de notre poids d’équilibre ; pour certains, cela signifie maigrir, pour d’autres, grossir. Dans les deux cas, et c’est ce que prouvent des études scientifiques, la régulation de notre alimentation est associée à une stabilisation du poids et de la santé sur le long terme.

(1) Sondage IPSOS.digital pour Qare effectué en mai 2022 sur un échantillon de 2000 participants, dont 1020 femmes, représentatifs de la population française et âgés de 16 à 75 ans.

(2)Cette étude a été réalisée à l’initiative de La ligue contre l’obésité et s’est appuyée sur des questionnaires constitués par l’institut de sondage Odoxa sur 9598 participants français âgés de plus de 18 ans.