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TENDANCES ALIMENTAIRES

Comfort Food, antidépresseur pour les uns, récompense pour les autres ?

Si le bien manger doit être au cœur de notre alimentation, parfois, il est aussi nécessaire de se laisser aller à de petits plaisirs gustatifs gras, sucrés ou salés. Ces aliments réconfortants, ou « comfort food » en anglais sont tout aussi essentiels à notre bien-être. Explications avec trois professionnels de la santé.

Glace, chips ou ris de veau… Parfois, pour se réconforter, nous nous tournons vers des comfort food. Souvent assimilés à de la malbouffe, ces aliments gourmands prennent pourtant aussi bien la forme d’en-cas industriels que de plats liés à nos souvenirs d’enfance. Outre le plaisir gustatif qu’ils apportent, ces aliments doudous satisfont une demande émotionnelle de réconfort, de détente et même de convivialité. Trois experts nous expliquent leur impact sur nos émotions et la place qu’ils devraient occuper dans notre alimentation.

Le cerveau, l’estomac et les émotions

Les mécanismes neuronaux liés au plaisir et à la récompense

La journée a été longue, et pour vous récompenser, vous vous êtes offert une barquette de frites. Dans la voiture, l’odeur qui s’échappe du sac vous met tout de suite en appétit. Arrivé chez vous, vous le déballez, vous admirez une seconde les appétissantes frites mi-moelleuses mi-croustillantes qui s’offrent à vous et en piochez une. Immédiatement, le goût sucré-salé combiné aux notes grasses vous apportent détente et réconfort.

Comment se fait-il qu’une simple frite ait tant d’effet sur notre moral ? Pour le comprendre, il faut se pencher sur le lien entre nos sens et notre système cérébral. C’est d’abord une histoire de sens car, avant même d’y goûter, la comfort food nous met en appétit par son odeur, l’odorat enclenche le plaisir en premier.

La succession du plaisir olfactif, puis visuel, tactile et gustatif génère une information positive qui passe ensuite des papilles au cerveau, « au centre de la faim qui se trouve au cerveau, au niveau de l’hypothalamus », explique le Dr Alain Scheimann, endocrinologue et diabétologue.

Cette glande cérébrale va alors « sécréter des hormones du bien-être comme la dopamine, l’ocytocine, la noradrénaline », poursuit l’endocrinologue. C’est grâce à ces hormones que nous sentons un effet anxiolytique immédiat sans effort.

Une étude du professeur Lukas Van Oudenhoven, spécialiste de la communication entre l’intestin et le cerveau à l’université de Louvain a montré que la teneur en gras joue également un rôle sur notre mental. Outre le plaisir gustatif qu’ils apportent et les souvenirs auxquels ils sont associés, les aliments gras vont jouer sur le plan émotionnel.

Pour le savoir, le professeur Van Oudenhoven a mis en place une étude dans laquelle des patients ont reçu de l’eau dans leur estomac tandis que d’autres recevaient une solution de graisse.

Ils ont ensuite été exposés à de la musique et à des images déprimantes. « Les sujets qui avaient reçu (à leur insu) la solution grasse étaient deux fois moins tristes que ceux à qui nous avions administré de l’eau. Même à faibles doses, les graisses incitent des cellules spécialisées du système digestif à produire des hormones qui vont envoyer des signaux vers l’hypothalamus », explique le Professeur Van Oudenhoven au média belge Week-end Le Vif.

« Il en est de même avec les produits sucrés ou riches en glucides, comme la purée de pommes de terre ou les pâtes, car l’intestin les convertit en glucose, qui va là encore influencer notre production d’hormones et donc notre cerveau »

Professeur Lukas Van Oudenhoven,


Ainsi, l’arrivée d’aliments gras dans l’estomac activerait différentes régions du cerveau et atténuerait des émotions négatives de façon éphémère.

Malgré le fait que cet effet soit de courte durée, nous apprenons rapidement que manger gras nous apporte du plaisir. En cause : la dopamine, neurotransmetteur de la récompense, qui nous pousse à réitérer ce comportement lors de moments de réconfort.

« Lorsqu’on mange des aliments plaisants, cela nous fait du bien et nous donne envie de recommencer. Nos mécanismes de régulation vont nous empêcher de trop manger et on arrête alors le repas. Dans des circonstances désagréables, on se rappelle cette sensation positive et on la reproduit pour chercher le même résultat », explique Jean-Michel Lecerf, nutritionniste à l’institut pasteur de Lille et auteur de « La joie de manger ». « L’aliment typique de la récompense, c’est le chocolat », précise-t-il.

Quand l’envie et le besoin agissent ensemble pour satisfaire une demande psycho-affective

Si l’alimentation sert d’abord à nourrir, elle est aussi un moyen de satisfaire une demande affective : « on ne mange pas seulement pas lorsque l’on a faim, on mange par rapport à des envies alimentaires, par rapport à des choix gustatifs formatés par son éducation, de son âge, de son sexe, son époque et de sa culture », explique la psychologue clinicienne Brigitte Ballandras. « On mange aussi en fonction de ses besoins alimentaires et d’une dimension sociale, de partage alimentaire », poursuit-elle.

Ainsi, l’alimentation a plusieurs fonctions : elle nourrit, procure un plaisir sensoriel, crée de la socialisation et comble des besoins affectifs. C’est cette dernière raison qui explique l’appellation « comfort food », car “grâce à la prime de plaisir sensorielle et affective, les aliments réconfortants viennent consolider les capacités du moi à mieux gérer les émotions”, explique Brigitte Ballandras.

Attention à ne pas assimiler la comfort food à une béquille alimentaire curative. « Le réconfort alimentaire rentre dans le cadre d’une alimentation type “normal” » précise la psychologue. « Mais on peut basculer dans des conduites qui nous font du mal quand les émotions sont trop fortes et que l’impulsivité alimentaire déborde la capacité de contenance », détaille Brigitte Ballandras.

Cette surconsommation de comfort food entraîne alors un comportement souvent associé à un léger seuil dépassement du seuil de rassasiement, au-delà du principe de plaisir. On dit alors que l’on est repu.

Certaines périodes vont influencer cette sensibilité alimentaire. On pense souvent aux périodes de séparation et de rupture, mais d’autres phases de transformation sont à reconnaître. C’est le cas de l’adolescence, période de grande vulnérabilité, mais également le jour où l’on quitte son foyer parental, le mariage, la grossesse, la parentalité, la ménopause…

Selon la personnalité, certains vont restreindre leur alimentation tandis que d’autres vont y trouver un plaisir éphémère. C’est le cas des personnes hypersensibles ayant eu « un maternage compliqué par du trop et du pas assez. Les désordres de conduites alimentaires sont des tentatives de guérison pour tenir debout », note Brigitte Ballandras.

La nourriture réconfortante et les aliments qui la composent, parfois à l’opposé des idées reçues.

La cuisine traditionnelle et les émotions qu’elle procure

On assimile souvent la « comfort food » à de la malbouffe, pourtant, sa définition est tout autre. En effet, le dictionnaire d’Oxford l’indique comme étant un « aliment qui procure une consolation ou un sentiment de bien-être, ayant généralement une teneur élevée en sucre ou en glucides et associé à l’enfance ou à la cuisine familiale. ». Les aliments réconfortants incluent donc aussi bien les petits plaisirs industriels que la cuisine traditionnelle.

« La comfort food est souvent associée à des aliments plaisirs donc trop gras, trop sucré, trop salé », admet le Dr Scheimann. Gâteaux, biscuits, cacahuètes, chips… La liste est longue. Mais la comfort food, c’est aussi « le poulet rôti du dimanche qui répond à la fois à une tradition familiale, à une envie de viande et qui est accompagné de frites. C’est un aliment de confort, de plaisir et parfois de tradition aussi », ajoute l’endocrinologue.

En fait, « tous les aliments qui nous font du bien peuvent être considérés comme de la comfort food », simplifie Jean-Michel Lecerf. Libre à chacun de trouver l’aliment qui lui apporte le plus de plaisir, mais « personne ne va vous dire “mon plat préféré, ce sont les Mars’’, on va plutôt entendre que c’est une soupe, un plat de leur enfance et qui les rapproche d’une personne et d’un contexte qu’ils aimaient », explique le nutritionniste. Le réconfort apporté par les aliments passe donc des souvenirs alimentaires, des expériences gustatives positives que l’on a vécu pendant notre enfance.

La comfort food comme vecteur de souvenirs, de plaisir et de convivialité

Notre mémoire est donc intimement liée à ces plaisirs alimentaires. La baguette tiède du boulanger, le ragoût qui mijote sur le feu, le gâteau tout juste sorti du four… Ces petits plaisirs gustatifs suscitent-ils appétit et souvenirs chez vous ? Chez certains, ils vont jusqu’à éveiller une dimension nostalgique. « C’est la madeleine de Proust, c’est retrouver un passé un peu idéalisé par le biais de plats traditionnels », explique le Dr Scheimann.

Ces mets sont généralement cuisinés avec amour et tendresse ou sont liés à des moments clés de notre vie comme des rituels : le goûter du mercredi, le dîner fait de restes le dimanche soir ou la pâtisserie préférée d’anniversaire.

« Pour ma part, c’est le ris de veau, ça me rappelle ma grand-mère »

confie le nutritionniste Jean-Michel Lecerf.

Les « comfort food » vont même jusqu’à créer un sentiment d’appartenance. « Si, enfant, vous êtes nourri avec certains aliments par ceux qui prennent soin de vous, ces aliments vont être associés au sentiment d’être pris en charge.

Puis, quand vous vieillissez, la nourriture elle-même suffit à déclencher ce sentiment d’appartenance », explique Shira Gabriel, professeure associée de psychologie à l’Université de l’Etat de New York, auprès de The AtlanticManger un plat de plaisir va déclencher des émotions et nous fait sentir en sécurité et aimé.

De même, loin d’être le réconfort alimentaire émotionnel stéréotypé véhiculé dans sitcoms, la « comfort food » se déguste aussi bien en temps de solitude ou de tristesse que lors de moments de convivialité et de partage. La « comfort food » peut ainsi prendre l’apparence d’une raclette, de coquillettes jambon-beurre ou de viandes grillées au barbecue. Si ces aliments réconfortants sont le plus souvent gras, ils ne doivent pas pour autant être assimilés à des plats caloriques, certains trouveront leur plaisir dans un plateau de crudités.

Le plus important, nous rappelle le docteur Scheimann, est que cette alimentation de plaisir reste maîtrisée et gérée en petites quantités. « Les nutritionnistes recommandent de se faire plaisir, mais lentement, tranquillement, en mastiquant bien et en appréciant chaque quantité », précise-t-il.

Et vous, quelle est votre comfort food ?