Chez la femme enceinte, l’alimentation joue un rôle primordial. La qualité nutritionnelle de ses apports alimentaires est plus importante que la quantité : ainsi, contrairement à une croyance populaire, une femme enceinte ne doit pas manger deux fois plus mais plutôt deux fois mieux.
En effet, les besoins nutritionnels de la femme enceinte sont différents des besoins de la population « standard » pour 2 raisons. La future maman doit adopter une alimentation équilibrée pour d’une part, subvenir à ses propres besoins accrus du fait de tous ces changements physiologiques ; et d’autre part, pour apporter tous les nutriments nécessaires au développement harmonieux du bébé.
Par Ysabelle Levasseur, Diététicienne-nutritionniste.
Quelle alimentation pour la femme enceinte ? Ce qu’il faut retenir :
- La future maman et son bébé ont des besoins énergétiques et nutritionnels spécifiques. C’est la raison pour laquelle il est important de continuer à manger varié, équilibré, tout en se faisant plaisir et en respectant certaines règles d’hygiène pour éviter certaines pathologies.
- Les besoins énergétiques ou caloriques de la femme enceinte (hors pathologie et situation particulière) sont augmentés par rapport à ceux d’une femme « standard », particulièrement lors du dernier trimestre de la grossesse et lors de l’allaitement.
- De même, les besoins quotidiens en fibres et en eau sont plus importants que pour le reste de la population. Il est donc essentiel de boire régulièrement de l’eau tout au long de la journée.
- La gestation exige également des apports en micronutriments (vitamines, minéraux et oligoéléments) plus importants dès le début de grossesse. C’est particulièrement le cas des vitamines B9, D, A, B12 et C ainsi que du zinc, du cuivre et bien sûr du calcium et du fer, micronutriments indispensables pour la femme enceinte.
- Pour subvenir à l’augmentation du besoin en fer chez la femme enceinte ou allaitante, il est recommandé de privilégier les viandes riches en fer (notamment le bœuf) tout en faisant attention à la cuisson. Durant 9 mois, les viandes bien cuites seront à privilégier au détriment des viandes peu cuites, et les viandes crues à oublier afin d’éviter tout risque microbiologique.
Quels sont les besoins nutritionnels de la population française ?
Les recommandations nutritionnelles pour la population française sont édictées au niveau national dans le 4e programme national nutrition santé (PNNS 2019-2023[1]) afin d’adopter une alimentation équilibrée (par exemple consommer des légumes secs au moins 2 fois par semaine) et d’éviter le développement de maladies (diabète, maladies cardiovasculaires, obésité…), mais aussi de lutter contre la malnutrition et la dénutrition.
Les recommandations globales concernant les groupes alimentaires à consommer sont les mêmes pour tout le monde. D’un point de vue énergétique ou calorique, la répartition quotidienne entre les 3 macronutriments appelés aussi nutriments « énergétiques » (protéines, glucides et lipides) est similaire pour toute la population adulte standard. Ainsi, les protéines doivent représenter entre 10 et 20% de l’apport énergétique total (AET) quotidien, voire 12 à 20 % en cas de faible activité physique, les lipides 35 à 40 % et les glucides 40 à 55 %.
L’assiette « idéale » est composée pour une moitié au moins de légumes, pour un quart de féculents ou de légumes secs, voire plus selon la faim, et pour un quart de protéines animales, sans oublier des matières grasses avec un peu de beurre cru et 2 à 3 cuillères à soupe d’huile végétale, d’un fruit et d’un produit laitier pour faire un repas équilibré. Mais ce sont de grandes recommandations qu’il faut adapter à chacun et à sa faim !
En revanche, le métabolisme de base de la femme étant inférieur à celui de l’homme, les apports nutritionnels et énergétiques diffèrent. De plus, d’autres critères spécifiques comme la taille, l’âge et l’activité physique interfèrent afin d’aboutir à des besoins nutritionnels en énergie et en nutriments spécifiques à chaque individu.
Les besoins en micronutriments (vitamines et minéraux), comme le magnésium, le fer et la vitamine B12, interfèrent eux aussi selon le sexe et/ou l’âge et selon l’état physiologique (femme en âge de procréer, grossesse, allaitement).
Ces apports en énergie, en vitamines et minéraux varient également pour les enfants, les seniors (dont les apports énergétiques sont en général plus faibles) et bien sûr pour la femme enceinte et allaitante. L’ANSES[2] a ainsi révisé en 2019 les repères nutritionnels dédiés pour les femmes enceintes ou allaitantes.
Quels sont les besoins spécifiques de la femme enceinte et allaitante ?
La grossesse est un moment particulier dans la vie d’une femme et l’alimentation joue un rôle primordial tant pour le bon déroulement de la grossesse que pour la maman et le bébé. Ce changement physiologique et la gestation impliquent des besoins accrus en calories, dans la répartition des nutriments énergétiques ainsi que dans l’augmentation de certains nutriments plus particulièrement indispensables à la grossesse et l’allaitement.
Besoins énergétiques
Au départ, les besoins énergétiques quotidiens augmentent légèrement. Au cours du premier trimestre les besoins caloriques n’augmentent que de 70 kcal/jour en moyenne. Ensuite, au second trimestre, il faudra augmenter ses apports énergétiques quotidiens de plus de 260 kcal/jour. Enfin, durant le troisième trimestre, le nombre de calories consommées doit être encore plus important : et il faudra encore accroître ses apports énergétiques de plus de 500kcal/jour ; ceci sera le cas aussi lors de l’allaitement (EFSA[3] 2017).
Besoins protidiques
La croissance fœtale implique un surcoût « protéino-énergétique » et les apports quotidiens en protéines totales doivent donc augmenter au dernier trimestre de grossesse. Ses besoins en protéines sont plus importants, et le minimum de protéines à apporter par son alimentation quotidiennement dépasse ainsi les recommandations générales pour tous. Les apports en protéines qui sont normalement de 10 % à 20 % de l’AET, augmentent donc lors du dernier trimestre de grossesse et doivent représenter 12 % à 20 % de l’AET.
Besoins en choline et oméga 3
La choline, présente notamment dans le foie et les œufs, et les oméga 3 sont essentiels durant la grossesse[4] pour le développement cognitif et moteur de l’enfant. Les oméga 3 sont principalement l’EPA (acide éicosapentaénoïque), l’ALA (acide alpha-linolénique) et surtout le DHA (acide docosahexaénoïque) issus des poissons dits « gras » et des viandes de bœuf « élevé à l’herbe » ou des animaux nourris avec des graines de lin.
Besoins en eau et fibres
Afin de pallier le désagrément d’une constipation physiologique, les besoins hydriques sont de 2 litres d’eau/jour et de 30g de fibres/jour.
Besoins en vitamine B9 ou folates
L’acide folique (ou vitamine B9), appelé aussi « folates », joue un rôle important dans le bon développement du système nerveux de l’embryon pendant les premières semaines de la grossesse. C’est pourquoi il faut en consommer dès le souhait de conception et qu’une supplémentation médicale se fait idéalement dès l’annonce d’un projet de grossesse.
Besoins en calcium et en vitamine D</span
Le calcium est essentiel pour la construction du squelette du bébé et la solidité des os, surtout au cours du troisième trimestre. Les produits laitiers (attention toutefois aux produits à base de lait cru car ils sont fortement déconseillés durant la grossesse) sont la meilleure source de calcium. Il est ainsi recommandé de consommer 3 laitages par jour sous forme de lait ou de yaourt, de fromage blanc ou de petit-suisse, et de fromage pasteurisé. En effet, un apport satisfaisant en calcium réduirait le risque de troubles hypertensifs (tels que la prééclampsie et l’éclampsie) au cours de la grossesse[5].
La vitamine D est nécessaire à la fixation du calcium et sa synthèse se fait lors d’une exposition au soleil. Les risques pour la femme enceinte ou l’enfant en cas d’insuffisance d’apport en vitamine D, qui se mesure grâce à la concentration plasmatique en 25(OH)D, sont l’augmentation du risque de prééclampsie lors de l’accouchement, de naissance prématurée et/ou de poids trop faible pour l’âge gestationnel.
Besoins en iode
L’iode contribue au bon fonctionnement de la glande thyroïde et au développement du cerveau du bébé.
Besoins en fer
- Le volume sanguin s’accroît pendant la grossesse et les besoins en fer augmentent puisque ce minéral transporte l’oxygène dans tous les organes du corps et a également d’autres fonctions fondamentales pour le corps. Ainsi, le fer est un constituant de l’hémoglobine des globules rouges et de la myoglobine des muscles, et il joue aussi un rôle dans les défenses immunitaires.
- Le fer est donc indispensable, surtout au 3e trimestre[6], car le risque de développer une anémie[7] est plus grand : l’alimentation doit continuer de couvrir les besoins de la maman mais aussi subvenir aux besoins de ceux du bébé et du placenta. Lors de l’accouchement il y a également une grande perte de fer du fait de l’hémorragie, ce qui implique d’avoir des apports en fer suffisants.
- Les besoins en fer augmentent donc de 150 % pendant la grossesse et l’alimentation doit apporter quotidiennement 16mg/jour (contre 11mg/jour pour la femme hors grossesse). Mais la nature étant bien faite, les règles disparaissent pendant la grossesse et le corps mobilise toutes ses réserves de fer. De plus, le fer est bien mieux absorbé au niveau intestinal[8]. C’est le cas aussi du zinc (qui aiderait à limiter la prématurité[9] et favoriserait la cicatrisation) dont les besoins augmentent eux aussi pendant cette période.
- Enfin, pour fabriquer plus de globules rouges, la femme enceinte a également besoin en même temps d’apports suffisants en vitamines B12, B9 et C.
Focus sur le fer
Il existe 2 sortes de fer :
- Le fer héminique, plus facilement assimilé, est absorbé à environ 25 % par l’organisme. Il est présent surtout dans la viande rouge et le poisson.
- Le fer non héminique est absorbé à moins de 10 % : il est présent dans les aliments végétaux, les œufs et les produits laitiers.
Il est intéressant de noter que la vitamine C consommée lors d’un repas avec des aliments contenant du fer non héminique favorise son absorption. C’est aussi le cas lors de la consommation de viande avec des aliments contenant du fer non héminique. Une raison de plus pour manger de la viande (rouge) bien cuite avec des légumes verts et des féculents.
Mais si la vitamine C favorise l’absorption du fer, ce n’est pas le cas du thé et du café (deux excitants déconseillés pendant la grossesse) qui eux, limitent l’absorption de ce dernier et en particulier celle du fer non-héminique.
L’importance du fer durant cette période est reconnue par tous. Une insuffisance d’apports en fer pour la femme enceinte ou l’enfant peut (selon une étude[10] sur le lien entre une faible consommation de viande bovine et la teneur en ferritine du cordon ombilical) avoir des effets néfastes à long terme tant sur la formation de la membrane de protection (myéline) des fibres nerveuses que sur le développement neurocognitif de l’enfant.
La viande rouge : indispensable pendant la grossesse ?
La viande rouge a de réels atouts nutritionnels. C’est une très bonne source alimentaire cumulant non seulement du fer héminique, mais aussi de la vitamine B12 et des protéines de bonne qualité (17 à 23 g/100 g). Ces protéines sont dites de « haute valeur biologique » (équilibrée en acides aminés indispensables proche des besoins des adultes) et avec une absorption digestive élevée. La viande rouge apporte aussi du zinc, du sélénium, et du cuivre.
Ainsi 100g de bœuf rôti (bien cuit) apporte plus de 45 % des besoins en protéines, 20 % des apports en fer, 55 % des apports en zinc et 50 % des besoins en vitamine B12.
Quelles sont les précautions d’hygiène pour la consommation de viande rouge pendant la grossesse ?
Manger de la viande rouge, notamment pendant la grossesse, est nécessaire, mais pas n’importe comment. Quelques précautions d’hygiène lors de la préparation et conseils pour la cuisson s’imposent pour éviter tout risque de contamination à la listériose et à la toxoplasmose.
Conseils pour la cuisson des viandes :
Comme pour les poissons crus, toutes les viandes crues (par exemple : tartare, carpaccio) ou peu cuites sont interdites. Un seul mot d’ordre donc pour les steaks : bien cuits ! Il est tout à fait possible de continuer à manger de la viande de bœuf pour sa richesse nutritionnelle, mais à condition qu’elle soit bien cuite. Et la viande rouge (bien cuite) se prête à de multiples recettes, comme des ragoûts, des lasagnes maison, ou encore des boulettes aux épices.
Conseils pour l’hygiène :
- utiliser une planche à découper dédiée aux aliments crus,
- nettoyer soigneusement tous les ustensiles de cuisine ayant touchés des aliments crus,
- et bien se laver les mains après avoir manipulé des aliments crus.
Et ensuite ? La femme après l’accouchement doit continuer à manger varié et équilibré surtout si elle allaite.
Avoir une alimentation variée lors de l’allaitement est favorable à la santé de la maman, mais elle influe également de façon précoce sur le comportement alimentaire de l’enfant. Des études ont d’ailleurs montré l’impact d’une alimentation variée en saveurs chez la femme allaitante[11] afin de commencer le développement prénatal du goût chez le bébé ainsi que sur le comportement alimentaire lors de la diversification alimentaire[12].
En synthèse, il faut retenir que la viande rouge est une excellente source nutritionnelle tant en protéines, qu’en zinc, en vitamine B12 et surtout en fer. Les femmes enceintes et allaitantes peuvent tout à fait continuer à en consommer, à condition que la viande soit bien cuite !
SOURCES
[1] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnns4_2019-2023.pdf
[2] ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement. Révision basée sur l’observation de recommandations de pays voisins et sur des données épidémiologiques.
[3] EFSA : autorité européenne de sécurité des aliments
[4] https://academic.oup.com/jn/article/148/3/409/4930799
[5] https://www.cochrane.org/CD003766/PREG_continuous-support-women-during-childbirth
[6] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18641987/ (Hofmeyr et al. 2010)
[7] Anémie : se définit comme une baisse du taux d’hémoglobine (<12g/L)
[8] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28424260/
[9] https://www.who.int/publications/i/item/9789240030466
[10] Etude sur le lien entre faible consommation de viande bovine et la teneur en ferritine du cordon ombilical
[11] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01137027/document